Jeune doctorant, pour défendre une idée, j’écartais grandement les bras et braillais presque debout sur les tables branlantes, pourtant en formica, qui survivaient dans les cafés qui entouraient la Sorbonne. Rares étaient les femmes en mini-jupe, la mode estudiantine étant au long, aux longues robes d’écrivains anglaise. Woolf détrônait Françoise Hardy. Ce dernier propos n’a rien à voir avec mon sujet.
L’essentiel était, ailleurs, dans le combat théorique, du moins pour les êtres comme.moi, persuadés que la Théorie du monde était la seule conversation possible entre deux vraies accolades de corps, fougueuses de déclarations d’amour, qui pouvaient durer deux jours.
Ainsi, même dans la marxologie ambiante, Bachelard, comme Montaigne faisait très chic et son feu de cheminée imaginé dans son vieil appartement du 6ème arrondissement devant lequel il écrivait des poèmes embrasés sans jamais laisser, sur le trottoir, la science qui s’imposait sous le charbon du quincailler, avec ses ruptures épistémologiques profondes qui expliquaient l’irruption surréelle des inventions, des mesures dans la connaissance qui faisaient grand bruit dans l’immense creux de la pensée dominante, à vrai dire naissante après 68, qui se prenait pour son invention.
Le scientifique, poète du carré, le poète qui faisait la part de la jouissance de l’art , du beau et celle de la perfection du théorème presque dans le même champ,. évidemment.
Rien de mieux pour époustoufler les fainéants et emballer facilement des nanas.
Je participais à sa gloire, mélangeant théorie et discours enflammé (facile) sur le feu bachelardien que nul n’avait compris que l’on rappelle :
Selon Bachelard, la poésie nous permettait de faire face à nos angoisses existentielles et de vivre en confiance dans le monde. Autrement dit, le poète, par son travail sur le langage et les images, humanisait le monde. En effet, la réalité, en soi, évidemment, était inhumaine. L’homme vivrait dans l’insécurité et le souci d’un monde étrange, dans un monde qui lui est étranger. Heureusement la poésie le sauvait surtout quand elle s’accompagnait une flamme ausi élégante que dancereuse…
Bachelard distinguait deux manières d’humaniser le monde :
la science, qui procède par le concept et la connaissance du réel, en le domptant comme devant un lion prét à vous sauter au cou pour un engorgement
Et la poésie et l’art, qui utilisaient l’image soulageant l’humanité du poids de ses angoisses évidemment aussi tout aussi existentielles.
Ain réalité, des imbécillités de faiseur qui justifient sa longue barbe.
La poésie est une imposture adolescente nian-nian ou, au mieux, un mode, ennuyeux, d’occupation balourde d’estrade de collège, d’accroissement inutile de l’angoisse de ceux qui ont peur du monde et de son amour franc et jouissif qui nous transporte, corps même sans clameur de vers poétique, dans la jouissance siderale de la chair lisse et vibrante qui constitue le cœur (poétique si vous voulez enjoliver) de l’union charnelle que la poésie tente d’approcher, souvent en vain.
La chair caressée est une poésie autrement plus jouissive que l’imposture de l’exclamation maîtrisée.
Quant à la science, celle de la connaissance, elle rend certes des fronts plus hauts, ou plus carrés mais le scientifique est souvent malheureux au milieu de l’incompréhension d’un théorème qui ne modère pas et ne caresse aucune âme dans l’attente d’un désir. Même le théorème bien fait, pourtant jouissif selon Einstein, ne vaut pas la fluidité du corps d’une femme amoureuse de ses ébats amoureux.
J’en suis donc revenu, au grand dam d’un ami qui a subi ce discours, pendant toute une soirée l’occasion de laquelle je m’énervais un peu contre la poésie, à une heure ou les soucis du quotidien, y compris amoureux, s’abattaient sur ma chair.
Et demain, on parlera, sans poésie de la magnifique femme inventée par IA qui a embrasé les spectateurs de Wimbledon qui auraient donné une vie pour caresser l’irréel…

Bachelard, lui, aurait détesté…