Comme l’écrivait Marc Bloch dans L’Étrange défaite :
« Je ne revendique jamais mon origine que dans un cas : en face d’un antisémite. ».
On a parcouru le bouquin de Guillaume Erner
La présentation :
Un essai singulier qui, tantôt avec humour et tendresse, tantôt avec ironie et acuité, exprime une profonde inquiétude sur l’avenir de la présence juive en diaspora et plaide pour le droit des Juifs à l’indifférence
Le ton du livre est dans la réflexion idiote de Marc Bloch. (je revendique ma bêtise devant un intelligent est de la même veine plate. Marc Bloch peut être idiot, surtout sur le sujet qu’il n’a pas dominé).
Indifférence et revendication ponctuelle sont les deux mamelles de la capitulation juive, qui noie dans l’intellectualité un sujet vital dans l’ordre physique.
Plutôt que de simplement revendiquer mollement son origine, et d’en faire un livre acceptable à gauche (ce n’est que ça) il serait plus opportun d’accompagner la revendication par un acte un peu plus violent, choisi dans la panoplie de la répartie. Elle peut admettre le soufflet au visage par un vieux gant en cuir, toujours plus lourd qu’un gant neuf. Évidemment juste un soufflet. La guerre est ailleurs.
Les hargneux, les racistes ont eu cette chance de la civilité (souvent juive) de leurs interlocuteurs, apprise au gré d’une intelligence (souvent juive) qu’on regrette quelquefois.
C’était la réflexion que je me faisais,à la lecture d’un extrait du bouquin de Erner qui officie le matin sur France Culture, malheureusement ficelé dans la ligne de cette radio, que le monde entier nous envie, qui a donc du mal à se départir du discours de circonstance sur l’antisemitisme qu’il faut rendre (le discours) adéquat.
Tout se passe comme si cet honorable journaliste se voyait confiné dans le “juif de service” acceptable par l’auditeur “limite”, qui écoute France Culture (on parle des antisémites qui ne se revendiquent pas comme tels).
C’est dans cette spirale que France culture, le matin et moins le soir, est presque devenu une matinale France Inter, soumis souvent aux insoumis.
Dommage. Quand il a pris son poste, Erner avait amené avec lui un gain d’objectivité sociologique plus bachelardienne que bourdieusienne.
Il faut savoir être violent sans violence physique et se revendiquer devant tous, même les sourds-muets
Le bouquin d’Erner s’intitule “judéo- obsession”. Déjà le titre donne l’avantage au camp d’en face. En laissant accroire que l’antisémitisme est plus une obsession, un sentiment (comme la sécurité) qu’une réalité.
Le titre est tiré du texte qui va suivre. Il s’agit de silenciationdes femmes (en littérature)
Je ne peux résister à coller, dans son intégralité, la présentation de l’émission “le book club”, émission de France Culture, du 14/10/2025, consacrée à un bouquin écrit dans les années 1980 par une écrivaine “féministe”.
J’avoue avoir pouffé de rire.
Qui a pu clamer que le wokisme le plus bête et le féminisme le plus idiot régressaient ?
France Culture, la radio que le monde entier nous envie, devrait être sur ses gardes tant elle devient une matinale de France Inter.
PRÉSENTATION DE L’EMISSION DE RADIO France « LE BOOK CLUB » DU 14/10/2025
L’essayiste Joanna Russ dévoilait dans les années 1980 les rouages du sexisme et de la silenciation des femmes en littérature. On découvre ce texte critique toujours d’actualité avec Cécile Hermellin, qui le traduit, et la critique Elisabeth Lebovici, qui le préface !
“Le nombre de bons livres écrits par des femmes dépasse largement les estimations les plus optimistes.” C’est la critique et écrivaine féministe américaine Joanna Russ qui le dit dans un essai paru en 1983 et traduit pour la première fois vers le français sous le titre : Comment torpiller l’écriture des femmes. Dans ce livre, elle décrypte tous les mécanismes d’effacement, de découragement, de minimisation de l’écriture des femmes. Dix ans après la publication de son propre texte, Joanna Russ admettait les impensés de cette critique, à savoir la classe sociale, et le racisme qui se rajoute à l’invisibilisation.
Joanna Russ, féministe pro-sexe
Elisabeth Lebovici explique que “le féminisme anti-sexe réclame des ordonnances assez sévères contre toutes les productions visuelles, actions où, lieux au sein desquels les femmes sont dominées.” Au contraire, les féministes pro-sexe cherchent quant à elles à “retourner l’insulte pour se l’approprier” notamment dans la pornographie en réalisant des “productions qui visuellement leur correspondent.”
Une forme singulière
Cécile Hermellin nous éclaire sur la forme de Comment torpiller l’écriture des femmes “qui n’est pas classique pour un essai.” Elle précise “que beaucoup d’essais féministes, dans les années 80, aux États-Unis, ont été écrits par des artistes.” Celles-ci ont bien été “obligées de faire le travail elles-mêmes, puisque personne ne le faisait à leur place.”
La participation au “continuum lesbien”
Elisabeth Lebovici insiste sur la volonté de Joanna Russ de créer “une intertextualité féminine.” Elle cherche dans ses textes à “faire connaître des autrices du XIXe et du XXe siècle.” Dans ce sens, elle participe à “ce qu’Adrienne Rich appelle un continuum lesbien, c’est-à-dire l’idée d’une sorte de flux dans lequel toutes les femmes, lesbiennes ou pas, peuvent s’inscrire.”
La question de l’auditeur
La question de Simon @lemerlemoqueur.librairie à propos de Joanna Russ : “Ce dont parle Johanna Russ dans le livre fait encore l’actualité dans le monde littéraire aujourd’hui, que ce soit pour les femmes, pour les personnes queers ou racisées, est-ce que le travail de Johanna Russ a abouti à quelque chose ? “
Côte à côte, sur 2 pages à plat, dans l’un des petits livres que je compose, qui forment mon musée imaginaire, posés sur les étagères ou sur une table de salon, j’ai imprimé une photographie de Cindy Sherman et un dessin de Juan Carlos Castagnino.
Il ne s’agit pas ici de séparation dans le couple, ses affres, la banalité des mots qui soutiennent le sujet. On veut juste évoquer « la solution à deux états », dans le conflit dit « palestinien ».
J’adhère à la proposition depuis longtemps, au grand dam de ma famille ou de coreligionnaires.
Il est vrai qu’à l’origine, ma conviction était fondée sur l’idéologie, les peuples, leur disposition, leur existence, leur humanité. Sur la politique, pour faire bref, celle de gauche, qui venait s’incruster, comme un courant d’air, en force, sous les bancs des amphithéâtres ou des salles de colloques que je pouvais fréquenter.
Nous soutenons la libération des peuples, les pays en voie de développement, le Sud qui n’était pas encore global.
Ma position n’a pas changé : la solution à deux États.
Cependant l’assise a changé, je ne le nie pas. Désormais, dans le discours, il s’agit de séparer les deux peuples, qui n’ont rien, à l’inverse des ce que clament des artistes avides de ventes à la banlieues ou qui ont peur de représailles ou des écrivains qui cherchent à vendre, rien à se dire. Et il, vaut mieux être en paix avec un ennemi juré, dont on connaît, désormais la hargne rentrée et la cache d’armes dans son lieu d’attache, qu’avec un nouvel ami qui serpente dans les territoires et cache son couteau vengeur, en creusant dans son âme mille vaisseaux qui sont autant de tunnels noirs.
La séparation est une aubaine, pour les deux parties, l’État palestinien un dondivin pour tous. Paradoxalement Pour Israël et sa quiétude, son existence.
Cette séparation territoriale, la vraie, permettra, paradoxalement à Israël d’exister, à la Palestine d’administrer son Etat. Sans slogan «de la rivière à la mer», sans l’absurde « droit au retour» », dans la clarification des deux entités, sans magma déstabilisateur. Sans drapeaux de haine de l’Occident, le substrat ayant disparu.
Évidemment, le moment choisi par notre adolescent au pouvoir, en quête de reconnaissance théâtrale dans la Cour de récréation des grands du monden’est pas le bon. Offrande au Hamas et otages, dans un cercueil ou amaigris dans les tunnels où se répandent, en vrille, des tornades diaboliques, des mutilations horrifiques.
Bien sûr qu’il fallait attendre et connaitre le numéro de téléphone de l’État palestinien, ses frontières, sa volonté de reconnaitre l’État voisin.
Mais même avec cette infamie des nations et des hommes qui camoufle la haine du juif qui n’est plus une victime, tête baissée, prête à être tranchée, on prend, on prend.
On est donc pour la solution à deux états, vite. Enfin, la séparation. Tout israélien devrait soutenir cette posture.
Et si le futur État palestinien veut la guerre (entre États, qu’on ne souhaite pas) il l’aura. Elle sera une guerre qui peut atteindre des civils sans taxer les dommages collatéraux de génocide.
Et si la Palestine veut devenir, ce qu’elle sera , à l’égard d’Israël, l’Algérie de la France, tant pis pour l’humanité. Nouvelle perte de temps, d’argent, d’énergie.
Vivement la séparation. Vive la solution à deux États !
La Jordanie a un rôle, territorial à jouer. Ça faciliterait le tout. Et les Israéliens ne doivent pas annexer la Cisjordanie. Reportez – vous à la carte
On est assez ravi d’avoir retrouvé les 4 lignes, épitaphe de Shirley Goldfarb, grande aventurière du Boulevard de Montparnasse, presque enchaînée aux terrasses de ses cafés, merveilleuse autrice (“carnets”) et qui écrivait ce qui suit, qu’on lit toujours un peu furieux contre soi : « Elle aurait pu tout faire Elle a choisi de ne rien faire (Et en choisissant le rien Elle eut du temps pour tout.) »
Je laisse le lecteur aller voir en ligne pour découvrir photos et personnage.
Je ne peux cacher que j’ai retrouvé ce qui précède dans le livre magnifiquement écrit de Frédéric Beigbeder, “bibliothèque de survie dans lequel il nous donne en les commentant les 50 bouquins qu’il préfère (Éditions de l’observatoire).
Je colle (citation) les deux pages qu’il a écrites sur Shirley :
Carnets de Shirley Goldfarb (1994) Elle s’autoproclamait « pique-assiette professionnelle ». Cette peintre expressionniste abstraite disposait des taches multicolores à l’huile sur des toiles. Le reste du temps, elle « attendait que sa vie commence » à la terrasse des cafés parisiens, en notant tout ce qu’elle voyait, pensait, entendait, attendait. Ce qui fait aujourd’hui sa notoriété, ce sont ces carnets nonchalants, publiés quatorze années après sa mort au Quai Voltaire, avec pour sous-titre Montparnasse 1971-1980. Shirley Goldfarb est une Simone de Beauvoir en plus comique, nihiliste, pauvre et inconnue. Elle traînait dans les mêmes cafés que le Castor : le Flore, Les Deux Magots, Lipp, Le Dôme, Le Select et La Coupole. Elle y croisait ses amis Andy Warhol, Michel Butor, David Hockney et Yves Saint Laurent. « Je suis Shirley personne, disait-elle. Je suis mon propre événement. » Elle aperçut Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir à La Coupole, le 24 janvier 1974, mais n’osa guère les déranger. À Francis Bacon, elle dit : « Vous êtes un ange. » « Un ange tordu », répondit-il. « Ce sont les meilleurs », s’écria-t-elle. La première fois que j’ai entendu parler de cette folle géniale, c’est grâce à mon comparse de Rive droite/Rive gauche sur Paris Première : Philippe Tesson. Il ne tarissait pas d’éloges sur la délicatesse avec laquelle Judith Magre déclamait ses bribes au théâtre, dans une mise en scène de Caroline « C’est-la-ouate » Loeb. Chaque notation mélancolique de la clocharde la plus snob du monde est l’équivalent littéraire d’un shot de tequila. Chaque page un remontant express. Lire Goldfarb, c’est tenir compagnie à une perdante intelligente, c’est envoyer promener l’efficacité matérialiste. Elle se « régale du spectacle des nantis », elle veut « peindre comme Gertrude Stein écrit ». C’est le Journal d’un raté d’Édouard Limonov réécrit par une femme, c’est-à-dire sans l’aigreur revancharde. Ce qui intéresse Shirley Goldfarb, c’est de peindre ses ongles de la même couleur que ses lèvres, de porter de jolies chaussures et des lunettes de star. Elle ne fout rien de ses journées, et la nuit elle danse chez Castel. Sa devise ? «tard = plus chic ». Ce genre d’équations mathématiques peut provoquer des dommages irréversibles sur le système nerveux. Fauchée et esseulée, elle se comporte comme une reine de Paris. « J’ai une capacité excessive de satisfaction, surtout les jours de soleil. » Son carnet est le radeau d’une naufragée. Quelle merveille ! On pense bien sûr à Dorothy Parker, en particulier quand elle rédige son épitaphe : « Elle aurait pu tout faire Elle a choisi de ne rien faire (Et en choisissant le rien Elle eut du temps pour tout.) »
JE COLLE CI DESSOUS UN LIEN POUR UN ASSEZ BON ARTICLE SUR GOLDFARB
PS2. Je regrette encore d’avoir loupé l’acquisition, en 1993, dans une vente à Saint-Germain-en-Laye, l’une de ses œuvres. Je devais être fatigué pour ne pas poursuivre dans l’enchère. Idiot.
La seule réalisatrice dont on peut affirmer qu’il s’agit d’un génie, la seule dont on peut tomber amoureux, tant son intelligence est grandiose, sa finisse cosmologique, son sens du récit éblouissant est bien Phoebe Waller-Bridge. Oui j’en suis amoureux. Facile de devenir amoureux de l’intelligence au corps souple.
Le titre (“la fécondité des malentendus”) est une jolie formule empruntée à Jean Pouillon, fin analyste, bon philosophe, pourtant ami de Jean-Paul Sartre..
Des lectures actuelles m’ont permis d’en déceler deux, assez cocasses.
Simone de Beauvoir et Lévi-Strauss
Lectrice, avant même sa parution des “Structures élémentaires de la parenté de Claude Lévi-Strauss” en 1949, un ouvrage rugueux qui assomme et enterre l’existentialisme triomphant de l’après guerre, elle écrit un article élogieux dans Les Temps modernes, revue sartrienne la plus lue par les intellectuels de l’époque. En écrivant : “Voici longtemps que la sociologie française était en sommeil.”
Et elle considère que l’oeuvre de Claude Lévi-Strauss s’inscrit parfaitement dans le système sartrien, la pensée existentialiste.
Relevant que Lévi-Strauss ne dit pas d’où proviennent les structures dont il décrit la logique, elle donne sa réponse, sartrienne :
“Lévi-Strauss s’est interdit de s’aventurer sur le terrain philosophique, il ne se départit jamais d’une rigoureuse objectivité scientifique ; mais sa pensée s’inscrit évidemment dans le grand courant humaniste qui considère l’existence humaine comme apportant avec soi sa propre raison.”
Immense, immense malentendu tant l’anthropologie structurale se situe dans une autre galaxie que celle de Sartre et son sujet agissant, de sa praxis et de son histoire, l’homme structural n’ayant aucune conscience de son existence et ne s’insère dans la structure par nécessité et certainement pas par volonté.
On a presque envie de rire aux éclats, mais on se retient pour ne pas alimenter la critique de l’intellectualisme.
Mais, on s’interroge encore sur ce qui peut être considéré comme assez idiot et peut donner la mesure de l’auteure…
Sartre a du lui souffler l’éloge tant il est vrai que, lui aussi, avait (encore un malentendu) admiré le fameux bouquin de Claude Lévi-Strauss, “Tristes Tropiques”, en considérant, et en se trompant encore, que l’ouvrage mettait en valeur de la présence de l’observateur dans l’observation et la communication instituée entre les indigènes et l’observateur. Le sujet constituant, si l’on préfère, dans sa praxis qui fabrique du sens.
Immense bévue. Tout le contraire : à l’époque, le sujet, la conscience vont s’effacer au profit de la règle, du code et de la structure…
Donc du malentendu à la recherche de soi et sa valorisation.
Barthes
L’autre malentendu est celui de l’acceptation par Roland Barthes d’une critique positive, additionnelle, de Claude Lévi-Strauss
CLS qui a vu les dérives délirantes du structuralisme dira dans une de ses conférences “le structuralisme, heureusement, n’est plus à la mode depuis 1968”. Il s’en félicitait et voulait en rester à la méthode et non à la constitution d’un système philosophique, une spéculation.
Sa critique allait de pair avec l’apparition des modes en réprouvant toute l’évolution vers le déconstructionnisme et la pluralisation des codes, contemporain de 1968.
Roland Barthes, dans cette mouvance écrit son fameux “S/Z”. On cite la présentation de l’éditeur :“Sous ce titre, ou ce monogramme, transparaît une nouvelle particulièrement énigmatique de Balzac : Sarrasine. Texte qui se trouve ici découpé en « lexies », stratifié comme une partition inscrite sur plusieurs registres, radiographié, « écouté » au sens freudien du mot. Si l’on veut rester attentif au pluriel d’un texte, il faut bien renoncer à structurer ce texte par grandes masses, comme le faisaient la rhétorique classique et l’explication de texte : point de construction de texte: tout signifie sans cesse et plusieurs fois, mais sans délégation à un grand ensemble final, à une structure dernière. »
CLS adresse une lettre argumentée à Barthes dans laquelle il signale à celui-ci une autre clé de lecture possible de la nouvelle de Balzac : l’inceste. Barthes, ravi de cet intérêt, prend très au sérieux cette proposition qu’il qualifie d’”éblouissante et de convaincante”, alors qu’il s’agissait, aux dires de Lévi-Strauss, d’une blague : Ce qu’il confirme en écrivant :
“S/Z m’avait déplu. Les commentaires de Barthes ressemblaient par trop à ceux du professeur Libellule dans le A la manière de Racine, de Muller et Reboux. Alors je lui ai envoyé quelques pages où j’en rajoutais, un peu par ironie (Lévi-Strauss, De près et de loin, Paris, Odile Jacob, 1988, p. 106.)
Je reviens sur le titre. Le “malentendu” est-il fécond ?
Certainement lorsqu’il, permet de clarifier une pensée en faisant comprendre à l’autre qu’il se trompe en restant dans ses catégories. Le malentendu est une aubaine pour la claire synthèse.
Cependant lorsqu’elle prend des proportions aussi cocasses, elle devient presque inféconde, par une démonstration de l’inanité de l’intellectuel et, partant par une nouvelle pierre donnée aux haineux de l’intellectualité.
“L’intellectuel idiot” est un bon sujet. Non pas l’idiotie de ce qu’il écrit mais celle de son comportement nécessairement adolescent. Forcément, dirait Marguerite Duras.
Marianne. Encore moi. La haute mer, disais-je. Seule l’eau efface ses cicatrices, impitoyablement gommées par ses propres remous. Vous souvenez-vous ? L’air était radieux et la lumière se posait, timidement, sur vos cheveux. Vous vous êtes levée et avez pris ma main. Et je cherchais les mots pour les plaquer, violemment, sur vos épaules. Rien ne vint. Vous souvenez-vous ? La cicatrice. Je la vois encore. Vous avez souri et sur vos joues le soleil s’amusait. Je les cherche aujourd’hui ces mots, pour vous dire, pour vous inventer. Et ne les trouve pas. Plus qu’une lettre de moi et tout sera acquis. Vous souvenez-vous encore de votre amour pour les oliviers ? Vous m’aviez dit qu’ils étaient comme le résumé du magnifique, couleur passée et inouïe du temps, branches rêches et feuilles drues, immobiles sous le vent, instants en suspens, compagnons du bleu et souvenirs exsangues. L’homme passa. Vous l’avez regardé, assidûment et avez retiré votre main. Il était beau. Il s’arrêta, posa un long regard sur nous. Vous êtes partie. Avec lui, en lui prenant la main, le corps à plat. Vous souvenez-vous ? Dans le ciel, pas un nuage. La brute éclaboussure du temps, arrogance du jour, explosion placide. Vous êtes vite revenue vers moi, en me prenant la main, en riant très fort. Vous m’avez embrassé, éperdument, longtemps. Et nous avons, ensemble, pleuré. Nous sommes vite partis, en courant et dans cette chambre, fenêtres ouvertes, dans l’air tiède, je vous ai prise. Roulis du désir, peaux en suspens. Vous pleuriez encore lorsque nous nous sommes quittés. Vous m’avez demandé de partir, en m’embrassant la main.
L’homme était là, dehors. Le ciel. Cintre des vies, gouffre des yeux. Il reviendra cet instant, courbe de votre peau, bouffées de volupté, tourbillons d’extase. Marianne, qu’avez-vous fait ? Qu’ai-je ainsi mérité ? Le temps de nous a disparu. Loin, très loin, dans les trous noirs de l’absolu, je vous écris. Il ne me reste que ces mots écartés. Lancés dans l’interstice de notre moment, vacuité du désir, flèches inaccessibles. Plus qu’une lettre et tout sera acquis. Il relut en souriant, rangea les photographies, prit l’une des deux enveloppes, y inséra la lettre, s’allongea sur le lit et tenta de dormir.
“C’est selon mon vœu personnel que le volume intitulé Ces plaisirs… s’appellera désormais Le Pur et l’Impur. S’il me fallait justifier un tel changement, je ne trouverais qu’un goût vif des sonorités cristallines, une certaine antipathie pour les points de suspension bornant un titre inachevé – des raisons, en somme, de fort peu d’importance. COLETTE.“
Première page :
En haut d’une maison neuve, on m’ouvrit un atelier vaste comme une halle, pourvu d’une large galerie à mi-hauteur, tendu de ces broderies de Chine que la Chine exécute pour l’Occident, à grands motifs un peu bâclés, assez belles. Le reste n’était que piano à queue, secs petits matelas du Japon, phonographe et azalées en pots. Sans surprise, je serrai la main tendue d’un confrère journaliste et romancier, et j’échangeai des signes de tête avec des amphitryons étrangers qui me parurent, Dieu merci, aussi peu liants que moi-même. Bien préparée à l’ennui, je pris place sur mon petit matelas individuel, en déplorant que la fumée de l’opium, gaspillée, s’envolât lourdement jusqu’aux verrières. Elle s’y décidait à regret, et son noir, apéritif parfum de truffe fraîche, de cacao brûlé, me donna la patience, une faim vague, de l’optimisme. Je trouvai aimables la couleur sourde et rouge des lumières voilées, la blanche flamme en amande des lampes à opium, l’une toute proche de moi, les deux autres perdues comme des follets, au loin, dans une sorte d’alcôve ménagée sous la galerie à balustres. Une jeune tête se pencha au-dessus de cette balustrade, reçut le rayon rouge des lanternes suspendues, une manche blanche flotta et disparut avant que je pusse deviner si la tête, les cheveux dorés collés comme des cheveux de noyée, le bras vêtu de soie blanche appartenaient à une femme ou à un homme. « Vous venez en curieuse ? » me demanda mon confrère. Il gisait sur son petit matelas ; je m’avisai qu’il avait troqué son smoking contre un kimono brodé et une aisance d’intoxiqué ; je ne souhaitai que m’écarter de lui, comme je fais des Français, toujours inopportuns, que je rencontre au-delà des frontières. « Non, répondis-je. Par devoir professionnel. » Il sourit. « Je le pensais bien… Un roman ? »
Jeune doctorant, pour défendre une idée, j’écartais grandement les bras et braillais presque debout sur les tables branlantes, pourtant en formica, qui survivaient dans les cafés qui entouraient la Sorbonne. Rares étaient les femmes en mini-jupe, la mode estudiantine étant au long, aux longues robes d’écrivains anglaise. Woolf détrônait Françoise Hardy. Ce dernier propos n’a rien à voir avec mon sujet.
L’essentiel était, ailleurs, dans le combat théorique, du moins pour les êtres comme.moi, persuadés que la Théorie du monde était la seule conversation possible entre deux vraies accolades de corps, fougueuses de déclarations d’amour, qui pouvaient durer deux jours.
Ainsi, même dans la marxologie ambiante, Bachelard, comme Montaigne faisait très chic et son feu de cheminée imaginé dans son vieil appartement du 6ème arrondissement devant lequel il écrivait des poèmes embrasés sans jamais laisser, sur le trottoir, la science qui s’imposait sous le charbon du quincailler, avec ses ruptures épistémologiques profondes qui expliquaient l’irruption surréelle des inventions, des mesures dans la connaissance qui faisaient grand bruit dans l’immense creux de la pensée dominante, à vrai dire naissante après 68, qui se prenait pour son invention.
Le scientifique, poète du carré, le poète qui faisait la part de la jouissance de l’art , du beau et celle de la perfection du théorème presque dans le même champ,. évidemment.
Rien de mieux pour époustoufler les fainéants et emballer facilement des nanas.
Je participais à sa gloire, mélangeant théorie et discours enflammé (facile) sur le feu bachelardien que nul n’avait compris que l’on rappelle :
Selon Bachelard, la poésie nous permettait de faire face à nos angoisses existentielles et de vivre en confiance dans lemonde. Autrement dit, le poète, par son travail sur le langage et les images, humanisait le monde. En effet, la réalité, en soi, évidemment, était inhumaine. L’homme vivrait dans l’insécurité et le souci d’un monde étrange, dans un monde qui lui est étranger. Heureusement la poésie le sauvait surtout quand elle s’accompagnait une flamme ausi élégante que dancereuse… Bachelard distinguait deux manières d’humaniser le monde : la science, qui procède par le concept et la connaissance du réel, en le domptant comme devant un lion prét à vous sauter au cou pour un engorgement Et la poésie et l’art, qui utilisaient l’image soulageant l’humanité du poids de ses angoisses évidemment aussi tout aussi existentielles.
Ain réalité, des imbécillités de faiseur qui justifient sa longue barbe.
La poésie est une imposture adolescentenian-nian ou, au mieux, un mode, ennuyeux, d’occupation balourde d’estrade de collège, d’accroissement inutile de l’angoisse de ceux qui ont peur du monde et de son amour franc et jouissif qui nous transporte, corps même sans clameur de vers poétique, dans la jouissance siderale de la chair lisse et vibrante qui constitue le cœur (poétique si vous voulez enjoliver) de l’union charnelle que la poésie tente d’approcher, souvent en vain.
La chair caressée est une poésie autrement plus jouissive que l’imposture de l’exclamation maîtrisée.
Quant à la science, celle de la connaissance, elle rend certes des fronts plus hauts, ou plus carrés mais le scientifique est souvent malheureux au milieu de l’incompréhension d’un théorème qui ne modère pas et ne caresse aucune âme dans l’attente d’un désir. Même le théorème bien fait, pourtant jouissif selon Einstein, ne vaut pas la fluidité du corps d’une femme amoureuse de ses ébats amoureux.
J’en suis donc revenu, au grand dam d’un ami qui a subi ce discours, pendant toute une soirée l’occasion de laquelle je m’énervais un peu contre la poésie, à une heure ou les soucis du quotidien, y compris amoureux, s’abattaient sur ma chair.
Et demain, on parlera, sans poésie de la magnifique femme inventée par IA qui a embrasé les spectateurs de Wimbledon qui auraient donné une vie pour caresser l’irréel…
La belle ci-dessus est une fausse bellle femme. Ele est virtuelle. Soit. La seule question qui est intéressante est celle de savoir si une vision jouissive d’une peau lisse dans un corps imaginaire est encore dans l’ordre du désir..je crois que oui. On finit par aimer un plante ou une fleur artificielle dans son salon.
Lorsque l’on cherche la signification de “blue note“, Wiki nous précise que :
Dans le jazz ou le blues, la note bleue (en anglais blue note) est une note jouée ou chantée avec un léger abaissement d’un demi-ton au maximum, et qui donne sa couleur musicale au blues, note reprise plus tard par le jazz. Les notes bleues peuvent être considérées comme des notes ajoutées à la gamme majeure ; ces notes sont aux 3e, 5e et 7e degrés, abaissées d’un demi-ton.
Notes bleues (en bleu sur cette partition) : l’altération descendante des 3e, 5e et 7e degrés
La blue note est une sonorité qui correspond à une quinte bémol
Ou encore que :
“Le terme blue vient de l’abréviation de l’expression anglaise « blue devils »(littéralement « diables bleus », qui signifie « idées noires »). La note bleue est utilisée par les musiciens et les chanteurs de blues et de jazz à des fins expressives, pour illustrer la nostalgie ou la tristesse lors de la narration d’une hioONstoire personnelle.
L’origine de la note bleue se trouve dans le système musical pentatonique africain, confronté au diatonisme occidental. La confrontation des noirs américains avec le système tonal européen et ses sept degrés a engendré l’adaptation du troisième et du septième degré (absents de leur gamme) en les infléchissant d’un demi-ton soit vers le mode mineur, soit vers le mode majeur. Cette modification peut dans certains cas être micro-tonale[4]. D’où l’ambiguïté du climat harmonique et affectif de cette musique“
MAIS WIKIPEDIA OUBLIE CE QUI SUIT : GEORGE SAND et CHOPIN :
(Où l’on parle des soirées musicales de Chopin, rue Pigalle, accompagné par sa copine évidemment, George Sand). Texte dont je ne retrouve pas la source. Honteux mais tant pis, je vais chercher dans mes archives.
Les témoignages qui restent des participants aux soirées parisiennes de la rue Pigalle font la description d’un salon aux lumières baissées où Chopin, entouré de ses compatriotes, leur jouait du piano. Assis devant l’instrument, il préludait par de légers arpèges en glissant comme à l’accoutumée sur les touches du piano jusqu’à ce qu’il trouve, par le rubato, la tonalité reflétant le mieux l’ambiance générale de cette soirée. Cette « note bleue », terme de George Sand qui y voyait « l’azur de la nuit transparente » (Impressions et souvenirs, 1841), était alors la base de ses improvisations, variations ou le choix d’une de ses œuvres dans la tonalité correspondante
Schumann rapporte, non sans énervement, qu’à la fin de ce type de manifestation, Chopin avait comme manie de faire glisser rapidement sa main sur le piano de gauche à droite « comme pour effacer le rêve qu’il venait de créer ».
Plutôt que d’ajouter un PS à mes billets sur la question du sujet prétendument libre et conscient, fabricant de son devenir, sur la structure ou le matérialisme, en se noyant ainsi sous les mots, en citant Spinoza ou Lévi-Strauss, je propose une courte citation romanesque.
L’anecdote se trouve dans le bouquin d’Octavio Paz intitulé “Le Labyrinthe de la solitude”. Elle est significative, drôle et embrasse “le sujet”, si l’on ose dire…
Une nouvelle servante se présente au domicile de son patron, lequel fait la sieste et ne l’entend pas arriver. Soudain il se réveille et sursaute :
– Qui va là?
Réponse de la servante :
– No es nadie, señor, soy yo (Ce n’est personne, monsieur, c’est moi.)
1 – L’on veut juste apporter une brève contribution à la critique, dans le champ exclusivement juridique, de la décision du 25 septembre du Tribunal correctionnel de Paris, qui a condamné l’ancien Président de la République, Nicolas Sarkozy, à cinq ans d’emprisonnement, mandat de dépôt prononcé. Décision assortie de l’exécution provisoire.
2 – Il semble inutile de revenir sur les termes de cette décision dont tous connaissent sinon les détails, du moins les contours. On les résume néanmoins :
Il s’agit donc du financement supposé de la campagne de Nicolas Sarkozy, candidat à la Présidence en 2007, par des fonds libyens prétendument obtenus contre des avantages d’ordre honorifique ou judiciaire accordés par la future Présidence française à la Lybie et ses dirigeants.
Après plus de dix ans d’enquête du fameux Parquet Financier de France, Nicolas Sarkozy et ses collaborateurs de l’époque étaient ainsi renvoyés devant le Tribunal correctionnel Paris, inculpés de quatre délits (corruption passive, recel de détournement de fonds publics étranger, financement illicite de campagne, association de malfaiteurs)
Le Tribunal a rendu sa décision le 25 septembre, en écartant les trois premiers chefs d’inculpation, en relaxant dès lors les prévenus desdits chefs, en considérant cependant que le délit d’association de malfaiteurs était constitué.
Le Tribunal l’exprime dans les termes suivants :
« L’association de malfaiteurs qu’il (Nicolas Sarkozy) a constituée avec Claude Guéant, Brice Hortefeux et Ziad Takieddine avait pour objectif de préparer une corruption au plus haut niveau possible lorsqu’il serait élu Président de la République, chargé de veiller au respect de la Constitution et garant de l’indépendance nationale. Cette association a ainsi porté sur l’agrément d’un financement en provenance d’un Etat étranger en contrepartie du suivi du dossier pénal d’un homme condamné pour terrorisme et du maintien des relations avec la Libye ».
Le Tribunal considère que Nicolas SARKOZY ne pouvait pas ne pas connaitre les agissements de ses collaborateurs dans ce but (un financement libyen)
3 – On ne veut revenir sur ce qui est perçu comme une contradiction : le but de l’association (s’il est démontré qu’il existait) n’est pas atteint : pas d’argent libyen retrouvé dans les caisses de la campagne, pas de corruption, pas de financement illicite et pourtant une association de malfaiteurs.
Comment dès lors être un malfaiteur d’un délit non commis ? Tout se passerait comme si la simple intention sans commission du délit est punissable, comme si, comme le dit l’adage latin « Cogitationis poenam nemo patitur » (« Nul ne peut être puni pour de simples pensées »)
Un commentateur a même clamé que le seul « fantasme sexuel » serait dès lors punissable (pénalement).
Tous se sont engouffrés dans cette contradiction qui n’est pourtant pas, du point de vue strictement juridique, acceptable puisqu’aussi bien le délit d’association de malfaiteurs ne suppose pas obligatoirement (curieusement peut-être) la commission de l’objet (ici le financement libyen) de « l’association » définie par l’article 450-1 du Code pénal comme « tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un ou plusieurs crimes ou d’un ou plusieurs délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement.
Mais il est vrai que l’on peut critiquer une règle de droit ou un article du Code pénal lorsque sa logique fait défaut.
4 – La critique de la non-démonstration par le Tribunal, qui n’émet qu’une hypothèse, est, elle, plus fondée en droit, le même Tribunal ayant jugé pour ce qui concerne le cas François Bayrou et sa connaissance de l’illicéité de l’emploi de fonds publics, qu’il ne s’agissait que d’une hypothèse non corroborée par des faits concrets, laquelle ne pouvait fonder une condamnation pour association de malfaiteurs.
5 – En réalité, la critique efficiente de cette décision réside dans l’assortiment à la condamnation de « l’exécution provisoire ». Non pas qu’elle aurait été prononcée alors que Nicolas Sarkozy garantissait l’impossibilité d’une fuite ou de la commission d’une infraction du même type, éléments souvent retenus pour assortir la peine de son exécution provisoire, de tels motifs n’étant pas les seuls qui peuvent la motiver. Mais, plus simplement, parce qu’outre « l’exceptionnelle gravité des faits et le quantum prononcé qui motive un mandat de dépôt, le fait de ne pas emprisonner Nicolas Sarkozy constituerait en soi un trouble de l’ordre public…
En effet le Tribunal énonce dans la partie consacrée à la peine que :
« L’exceptionnelle gravité des faits et le quantum prononcé rendent nécessaire le prononcé d’un mandat de dépôt. Étant observé que M. Sarkozy ne s’est jamais dérobé à la moindre convocation et a été présent à l’audience sauf dispense accordée par le tribunal, il sera tenu compte de la nécessité pour organiser sa vie professionnelle pour prononcer ce titre sous la forme d’un mandat de dépôt à effet différé. Il sera néanmoins assorti de l’exécution provisoire, mesure indispensable pour garantir l’effectivité de la peine au regard de l’importance du trouble à l’ordre public causé par l’infraction. Il appartiendra donc au condamné de répondre à la convocation du parquet national financier pour fixer la date de son incarcération.
C’est ici que l’interrogation devient essentielle, cruciale dans le champ de la sécurité juridique laquelle est exclusive du flou sémantique ou de la formule attrape-tout qui permet au juge de juger comme il l’entend et non comme l’entend la Loi.
En réalité cette notion (le trouble à l’ordre public) n’est définie en droit français que dans l’article 2212-2 du Code général des collectivités territoriales, qui le définit comme « le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques »et confère ainsi, en le fondant, le pouvoir de police du dont dispose le maire ou le Préfet. Il s’agit donc d’un trouble apporté à la paix publique, contre tout ce qui est dangereux ou porte atteinte à la liberté, à la paix des citoyens.
A qui peut-on faire croire, très sérieusement, du moins sans provoquer le lourd questionnement ou la malheureuse suspicion à l’égard d’une décision de justice, que le fait de pas voir Nicolas Sarkozy en prison, quelques mois avant l’audience de la Cour d’Appel, troublerait la quiétude des français ?
Certes, tous les concepts ou opinions peuvent être convoqués (présomption d’innocence, contradiction précitée, double degré de juridiction, sévérité variable de la justice).
Cependant, la seule question qui accouple le droit et le bon sens, celui qui, immédiat et sans balivernes, constitue une opinion commune indépassable, est bien celle-ci :
La paix des français serait-elle « altérée », rompue, troublée, par l’application du principe du double degré de juridiction et de la présomption d’innocence qui s’y attache et qui oblige ainsi la société (sauf danger ou risque de récidive) de ne pas humilier un homme en le jetant en prison avant que la décision le condamnant ne soit définitive ?
Les foyers français, pour ne pas rompre leur paix, leur quiétude ont certainement besoin d’une autre mesure que celle que les magistrats parisiens ont pu prendre. Peut-être même que l’ordre public est « troublé » par cette décision.
Jean-Pierre Le Goff : « Naufrage du macronisme et déshonneur des politiques »
On ne peut pas ne pas lire cet entretien entre Alexandre Devecchio (Le Figaro) et Jean-Pierre Le Goff, dont l’exactitude de l’analyse, mêlée à une plume exceptionnelle nous rend fier de la France.
Il est dommage pour le peuple d’avoir élu ce Président. Il est aussi dommage pour le peuple électeur de toujours en demander plus, en prétendant “être en colère froide” contre ceux qui leur offrent ce qu’ils souhaitent : toujours plus. Oui, je l’ai écrit, le peuple est irresponsable. Mais la démocratie est le moins pire des régimes, on le sait. Il lui manque, néanmoins, un peu de “République”.
ENTRETIEN
La crise que nous connaissons, vous l’avez annoncée dans La France morceléeen 2008, puis dans Malaise dans la démocratieen 2016. À l’époque, vous décriviez l’autodestruction du politique et la fuite en avant des hommes politiques. Sommes-nous au cœur de cette dérive ?
Depuis des années, en matière de politique, mais pas seulement, nous avons l’impression d’être dans un trou sans fond où la France s’enfonce dans une crise qui n’en finit pas. Emmanuel Macron a poussé jusqu’au bout l’autodestruction du politique par sa décision irresponsable de dissoudre l’Assemblée nationale en juin 2024. Nous y sommes : le macronisme est en voie avancée de décomposition et la politique dégénère en un spectacle affligeant. Le plus étonnant est que le président de la République semble décliner toute responsabilité dans le déclenchement de cette crise.
Cette nouvelle figure bariolée du président de la République a laminé de l’intérieur la fonction présidentielle et l’autorité de l’État.Jean-Pierre Le Goff
Comment expliquez-vous le succès et la fascination qu’a pu exercer Emmanuel Macron, tout au moins au début de son mandat ?
Emmanuel Macron a fasciné nombre de journalistes et d’intellectuels par sa personnalité hors du commun, son dynamisme et son intelligence. Lorsqu’il s’est lancé dans la campagne des élections présidentielles en 2017, il est apparu à beaucoup comme un jeune homme politique nouveau, en dehors des partis et des clivages politiques traditionnels, mû par la volonté d’accomplir une « révolution démocratique » et de moderniser la France dans un monde en plein bouleversement.
Par-delà le contenu de sa politique, ce qui m’est apparu beaucoup plus difficile à saisir, ce sont ses convictions profondes, sa filiation culturelle et politique, tellement ses références et ses propos étaient divers, tout comme les rôles qu’il a endossés « en même temps ». De déclarations à l’emporte-pièce, de petites phrases sur la start-up nation et les premiers de cordée aux discours solennels en hommage à la République et aux grands hommes de notre histoire, jusqu’aux selfies et aux tweets en direction de publics ciblés, la parole présidentielle s’est décrédibilisée au fil des ans. Elle est apparue non seulement interminable, mais « éparpillée façon puzzle », tout comme son image dans l’opinion.
projet d’avenir dans lequel le pays puisse se retrouver.
Le « pouvoir informe » désigne l’incohérence de l’État dans sa composition interne et dans les politiques suivies. Celles-ci sont le fruit de revirements opérés dans les orientations et les choix politiques, revirements jamais clairement explicités et assumés. Ce pouvoir informe brouille les responsabilités et les rôles, incapable de décision claire et de choix cohérent, il verse dans l’opportunisme et la démagogie face à une « demande sociale » éclatée et contradictoire qu’il contribue par son attitude même à entretenir et à développer.
La « langue caoutchouc », enfin, renvoie à un discours politique qui dit tout et son contraire avec un aplomb déconcertant sur le modèle de la com. Cette langue caoutchouc dénie les contradictions et les revirements, enrobe l’opportunisme dans des « éléments de langage » et des discours généraux et généreux à n’en plus finir qui découragent l’envie même de comprendre en fin de compte de quoi au juste il est question.
Ces trois caractéristiques n’expliquent pas tout, elles se sont conjuguées avec un angélisme concernant la mondialisation libérale et ses effets économiques et sociaux, mais elles me paraissent avoir joué un rôle important dans le fossé qui s’est creusé depuis plus de trente ans entre les citoyens ordinaires et la « classe politique ». Des responsables ne semblent pas avoir compris ce qui s’est passé en continuant comme avant. Ils se sont laissés enfermer dans une bulle médiatico-politique qui s’est crue le centre du monde et se sont déconnectés de la réalité. Ils n’ont cessé de donner des leçons à un peuple désorienté pour qu’il s’adapte au plus vite à un monde chaotique que le pouvoir politique lui-même ne parvient pas à « réguler ». Nous ne sommes pas sortis de cette situation avec laquelle il me paraît urgent de rompre si nous voulons que la confiance puisse se renouer entre gouvernés et gouvernants. La politique ne se limite pas à la question de savoir à quel âge les Français vont pouvoir prendre leur retraite, mais implique la façon dont le pays entend faire face aux défis du nouveau monde en restant maître de son destin. L’honneur des politiques est à ce prix.